C’est peu de le dire: la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) génère de l’inquiétude dans le milieu scientifique français. Nombreux craignent que la LPPR accroisse leurs maux, tels que le manque chronique de moyens financiers et humains, la précarité des jeunes chercheurs et la fuite des cerveaux à l’étranger. Qu’en est-il pourla recherche sur le VIH/sida ?
Certes, la LPPR, débattue en séance publique à l’Assemblée nationale à partir du 21 septembre, prévoit un investissement supplémentaire de 25 milliards d’euros sur les dix prochaines années, « ce qui est sans précédent depuis plusieurs décennies », rappelle le gouvernement dans l’exposé de sa loi. Objectif: atteindre les 3% du produit intérieur brut (PIB), cible fixée par les Etats membres de l’UE pour 2010, puis 2020.
A ce jour, la France en est loin, se situant autour de 2,2% de son PIB, tandis que l’Allemagne a atteint 3,1%, la Suède 3,6%. Or malgré l’effort « inédit » consenti via la LPPR, la France ne devrait toujours pas atteindre les 3% en 2030, en tenant compte de l’inflation et de l’augmentation mécanique du PIB, note le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans un avis très critique.
« Machine à précariser »
Pour les chercheurs, le principal motif d’inquiétude réside dans de nouveaux contrats de travail proposés par le texte, qui en font une « gigantesque machine à précariser et à privatiser » selon le site universiteouverte.org. Les CDI de mission scientifique en particulier : ce contrat de travail, de durée indéterminée, sont liés à un projet de recherche. Peu importe le temps que prend le projet, il s’achève une fois celui-ci mené à terme.
Virologue à l’université Aix-Marseille et membre du comité scientifique et médical de Sidaction, Bruno Canard estime que « le CDI de mission scientifique n’est rien d’autre qu’un CDD : il ne résout pas grand-chose pour les jeunes chercheurs, et ne donnera pas droit à la prime de précarité. Leur carrière ne sera pas la même que pour ceux qui ont obtenu un poste » après titularisation. La mise en place des CDI de mission scientifique fait par ailleurs craindre une baisse, déjà bien amorcée, des postes annuels par concours.
S’il dit « comprendre l’utilité des CDI de mission dans un cadre très précis », Asier Sáez-Cirión, virologue à l’Institut Pasteur et président du comité scientifique et médical de Sidaction, craint qu’ils ne puissent savoir de suite si l’expérience est concluante: « si une personne démontre ses capacités pendant sa mission, il manque la possibilité de la titulariser » une fois son travail achevé, un sujet éludé par la future loi.
Un mécanisme utile, selon le directeur de l’ANRS
Le directeur de l’ANRS (France recherche Nord & Sud sida-HIV hépatites), François Dabis, se montre plus confiant : « Les organismes auxquels l’agence apporte des financements, dont les universités, l’Institut Pasteur, l’Inserm, l’IRD et le CEA, recourent déjà à des contrats de mission, de façon moins officielle, moins systématique, variable de l’un à l’autre. [La loi] va apporter un cadre général pour que cela soit utilisé plus largement, ce qui peut faire craindre à certains qu’il y ait moins de postes ouverts aux concours. Je pense que c’est un mécanisme complémentaire plutôt utile, qui a déjà permis à des chercheurs de rester en place ».
De même, la loi prévoit la création d’un statut de professeur junior dont le recrutement serait conditionné à une évaluation scientifique après trois à six ans dans l’enseignement supérieur. Selon le collectif des sociétés savantes académiques, ce système, inspiré des ‘tenure tracks’ anglosaxons, « donne potentiellement une indépendance scientifique plus rapide », mais « expose les jeunes scientifiques à un niveau de pression qui peut brider leur créativité et les conduire à repousser leurs projets familiaux ».
Une loi pour premiers de cordée
Au-delà de ses mesures phares, c’est la philosophie même de la loi qui fait débat. Avant même sa présentation fin juillet, elle fut annoncée en fanfare par le PDG du CNRS, Antoine Petit, qui en novembre 2019 a dit souhaiter une loi « ambitieuse, inégalitaire – ou différenciante s’il faut faire dans le politiquement correct –, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale ».
De quoi faire bondir la communauté scientifique, très à vif sur ces sujets. Selon Bruno Canard, le « vocabulaire élitiste et compétitif » de la LPPR passe à côté du problème : la loi « veut accroître l’attractivité de la recherche française, donner des moyens aux premiers de cordée. Pourtant, elle ne parle absolument pas des ITA [ingénieurs, techniciens, personnel administratif], qui sont pourtant capitaux. Ce sont eux qui possèdent les compétences sur les protocoles expérimentaux, les réactifs ou les biobanques. Or on a le plus grand mal à en recruter. Ce qui conduit à des situations ubuesques où il n’y a personne pour s’occuper d’une animalerie ou d’un appareil ».
Y a-t-il péril en la demeure pour la recherche sur le VIH/sida ? Pas spécifiquement, veulent croire les chercheurs contactés par Transversal. « La recherche sur le VIH et les hépatites connaît une situation particulière au sein de la recherche en santé et société, du fait de l’existence de l’ANRS : depuis 32 ans, ce guichet unique a permis de structurer la communauté scientifique française sur le sujet », explique François Dabis. Fait saillant, cette organisation a particulièrement favorisé l’interdisciplinarité, notamment entre sciences biomédicales d’une part et les sciences humaines et sociales d’autre part. « L’ANRS amène les chercheurs à travailler beaucoup plus en interface », constate le directeur de l’ANRS.
En 2021, nouvelles missions pour l’ANRS
Si la LPPR n’aura, du moins directement, pas d’impact sur la recherche sur le VIH, une évolution notable devrait prochainement survenir en son sein. Sur proposition en juin de la ministre de la recherche Frédérique Vidal, l’ANRS va élargir ses missions à la recherche sur les maladies émergentes, dont la Covid-19. Ce qui devrait se concrétiser début 2021 par un rapprochement entre l’agence et le réseau REACTing (REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases) de l’Inserm.
Le sujet est en cours de réflexion avancée entre ces deux organisations, y compris pour préparer une proposition de trajectoire budgétaire pluriannuelle. Selon François Dabis, « il faudra faire plus qu’additionner les budgets des uns et des autres ». Pour Asier Sáez-Cirión, ces nouvelles missions confiées à l’ANRS sont une bonne chose: « le modèle de la recherche sur le VIH fonctionne bien. C’est un système transversal, qui s’adresse aussi bien aux patients qu’aux chercheurs, et qui pourrait s’avérer très efficace dans la lutte contre les maladies émergentes ».