Depuis la déclaration de Paris de 2014, 350 villes dans le monde ont adhéré au réseau des « villes sans sida », dont six métropoles françaises. À Paris et à Nice, villes pionnières, les premiers bilans attestent de l’efficacité de ces mécanismes permettant de fédérer les énergies dans les champs de la prévention, du dépistage et de la PrEP. Les « Fast-Track cities » s’affirment aussi comme des centrales d’innovation depuis les territoires.
L’initiative avait pour objectif d’accompagner et d’accélérer, sur une période transitoire, la fin de pandémie de VIH d’ici à 2030, après une décennie de baisse des contaminations. La montée en puissance des « Fast-Track Cites », ou « villes sans sida », a affronté une tempête imprévue : la crise sanitaire liée au Covid-19, qui s’est traduite en 2020 par une chute du dépistage et des difficultés aggravées d’accès aux soins. Pour autant, près de six ans après l’adoption par Paris de la déclaration de l’Onusida, cette initiative a fait preuve d’une grande capacité de résilience malgré le contexte des confinements et des restrictions sanitaires mises en place par les pouvoirs publics.
Sur le papier, les « villes sans sida » – la France en compte sept à ce jour, Paris, Nice, Bordeaux, Strasbourg, Lyon, Montpellier et Lille – restent de très petites structures dotées de moyens limités. Paris sans sida, l’association pionnière en France, ne compte que cinq personnes dans son équipe. Ces petites organisations se sont également constituées de façon empirique, tenant compte de la réalité des territoires et de la volonté politique locale : forte implication politique de la municipalité à Paris, soutien actif du Corevih, de l’ARS et du département des Alpes-Maritimes pour ce qui est de Nice, ou encore appui substantiel du milieu hospitalier et des laboratoires à Bordeaux.
Fédérer les énergies
Mais la grande force de ces petites structures est probablement d’avoir réussi à mutualiser les énergies « en s’appuyant sur les acteurs de terrain », selon les mots d’Elodie Aïna, la directrice de Paris sans sida. « Notre objectif est d’aller chercher des fonds sur la base de projets. De mettre autour de la table des acteurs autour de projets innovants et inclusifs », résume-t-elle.
« Objectif sida zéro : Nice et les Alpes-Maritimes s’engagent » l’initiative niçoise, s’est également constituée comme un outil de mutualisation. « Elle a permis d’améliorer les connaissances chez les acteurs, notamment politiques », relève l’infectiologue Pascal Pugliese, président du Corevih Paca-Est. « La dimension politique des Fast-Track Cities permet également de convaincre des partenaires comme l’Assurance Maladie. Avec Paris sans sida, nous nous sommes rendu compte à travers des échanges informels que nous demandions souvent la même chose. Nous nous sommes dit que nous aurions plus de puissance en s’appuyant sur nos deux territoires. »
De fait, les « villes sans sida » ont permis, sur la base de projets élaborés localement, de réunir collectivités, associations, laboratoires d’analyses, hôpitaux, Corevih, ARS et Assurance Maladie autour d’une même table. « Il y a beaucoup de partenaires, mais qui étaient peu coordonnés », explique Clara Bertrand, coordinatrice de Bordeaux Ville Sans Sida, qui s’est constituée en association en mars 2021. « En dehors du 1er décembre, peu de choses se faisaient en réseau. L’enjeu était donc de fédérer les acteurs. »
Les « labos sans ordo », un « cas d’école »
Le VIH Test, ou ALSO (Au labo sans ordo) constitue sans aucun doute l’exemple le plus flagrant de l’efficacité de ce travail en réseau. Mise en place conjointement à Paris et à Nice, cette expérimentation visant à permettre à chacun de pratiquer un test gratuit et sans ordonnance au sein de laboratoires d’analyses partenaires a réuni, dans une même gouvernance, deux villes, deux départements, deux ARS ainsi que les représentants de la biologie médicale (URPS Biologie). Prévue initialement du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020, elle a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2020 du fait de la crise sanitaire, qui bouleversait l’organisation classique du dépistage.
Lancée avant la crise du Covid-19, l’expérimentation ALSO semble avoir démontré son efficacité, y compris dans un contexte sanitaire de chute du volume des sérologies classiques. Sur la période concernée, l’offre a représenté 7,2% de l’activité de dépistage dans les Alpes-Maritimes et à Paris, soit respectivement 12086 tests et 32652 tests réalisés, selon un bilan publié en juin 2021. « L’expérimentation a permis d’amener vers le dépistage d’autres publics, non seulement des HSH mais également des personnes hétérosexuelles qui étaient éloignées du soin », explique Elodie Aïna. « Pour l’usager, ce sont des horaires élargis et plus souples ». « VIH Test permet d’augmenter le volume de tests et de toucher un public différent de celui qui se rend dans les CeGIDD », abonde Pascal Pugliese. Argument complémentaire : le dispositif coûte moins cher à l’Assurance maladie.
Circonscrit à Paris et dans les Alpes-Maritimes pour durée déterminée, ALSO vient d’être validé par les autorités. Une dérogation au code de la Sécurité sociale, inscrite dans le PLFSS pour 2022, généralise et pérennise cette offre sur tout le territoire au 1er janvier 2022. « Notre mission est d’améliorer l’offre de dépistage en mettant en place des projets innovants. À ce titre, ALSO est un cas d’école », se félicite Elodie Aïna.
Expérimentations locales, visée nationale
Derrière la réussite d’ALSO, coexistent une multitude de projets développés par les « villes sans sida » en fonction des nécessités spécifiques de chaque territoire. Paris sans sida – qui s’est doté d’un site Internet au 1er décembre 2021 – s’investit dans le champ de la prévention et de l’accès aux tests. La structure a initié des campagnes de communication en direction des populations-cibles, dont les publics d’origine subsaharienne (création du site lesbonnesnouvelles.org) et les HSH et les personnes transgenres (vidéos du Dr Naked sur la chaîne YouTube de Paris sans sida). L’association appuie également des campagnes portées par les acteurs communautaires sur le thème, notamment, de la PrEP.
En outre, elle poursuit sa mission de « centrale d’achat » en achetant en grande quantité autotests VIH et TROD, puis en refacturant ce matériel à prix coûtant aux associations. À ce jour, près de 12000 autotests ont été distribués, dont 5960 depuis le début de l’année 2021, ainsi que 4410 TROD. S’ajoutent à cela quelque 122000 préservatifs distribués gratuitement depuis le début de l’année à une vingtaine d’associations communautaires. Au bilan, également, les actions de sensibilisation auprès des médecins généralistes de Paris et de Seine-Saint-Denis autour du recours à la PrEP, et les 600 kits distribués cette année aux libéraux incluant autotests, préservatifs et livret sur la santé sexuelle en consultation.
À Bordeaux, qui a rejoint le réseau en avril 2018 avec l’appui du professeur Philippe Morlat et de docteur Denis Lacoste (CHU de Bordeaux), les initiateurs du projet ont rapidement identifié la nécessité de cibler la prévention sur les populations migrantes, éloignées des soins et de la prévention. Parmi les initiatives figure la formation d’interprètes aux questions de santé sexuelle – 7 interprètes se sont vu attribuer une certification relative aux TROD et à la PrEP -, ainsi qu’un volet de formation dédié aux professionnels de santé amenés à recruter ces interprètes.
La métropole bordelaise a également fait siennes des expérimentations innovantes comme l’envoi de 300 kits de prévention et d’autotests à domicile, la mise à disposition de médecins accompagnant les personnes en situation de prostitution sur la PrEP (dispositif Poppy). En chantier, également : la mise à disposition d’une ligne téléphonique permettant aux personnes éloignées des structures de bénéficier d’un entretien en santé sexuelle et, via un formulaire, de recevoir une ordonnance, voire d’obtenir une consultation avec le médecin en cas de sérologie positive. « On a décidé de le lancer en phase test pour six mois », explique Clara Bertrand. « Si cela fonctionne, nous ferons valoir ce projet afin qu’il puisse essaimer dans d’autres territoires. »
La philosophie des « Villes sans sida » a ce point commun : partir du constat que les innovations locales peuvent avoir un intérêt bien au-delà de leur périmètre. Depuis 2018, l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale introduit une disposition destinée à favoriser l’innovation en santé, prévoyant des modes de financement dérogatoires. En clair, « cela permet de mettre en œuvre des projets qui dérogent aux financements de l’Assurance maladie », explique Pascal Pugliese.
Après VIH Test, plusieurs projets sont en réflexion. Un exemple : Grand ParIST Express (GPX), qui associe Paris Sans Sida et Santé Publique France, visant à offrir aux HSH, lors d’une consultation en santé sexuelle, une prescription de bilans VIH et IST ainsi que trois prescriptions de bilans pour le reste de l’année, à faire chaque trimestre, avec des rappels via un smartphone et la possibilité de recevoir un kit d’autoprélèvement à domicile. Les partenaires pourraient également être notifiés en cas de sérologie positive. Le forfait, annuel, serait pris en charge par l’Assurance maladie. GPX est actuellement en cours d’examen auprès des autorités de santé, pour déterminer s’il est éligible au fameux article 51.