L’élimination des violences envers les femmes a fait l’objet d’une déclaration de l’ONU1 en 1993, qui mentionne explicitement la santé comme l’un des droits humains et l’une des libertés fondamentales à promouvoir et à protéger. Dans le champ du VIH/sida, si les liens entre ces violences et le risque d’infection, le retard au dépistage ou encore les difficultés d’accès et de maintien dans les soins sont parfois difficiles à établir, ils font cependant l’objet de nombreuses recherches.
Recommandations à l’international
Le travail de Vanessa Fargnoli, de l’université de Genève, mené auprès de femmes de nationalité suisse, présente la façon dont le VIH peut s’inscrire dans un parcours de violences très souvent tues2. « Durant les entretiens, les participantes peinent à isoler la “part du VIH” dans leur vie de “l’autre part”, plus obscure, plus difficile à exprimer, que ce soit un abus (sexuel dans la majorité des cas) ou une souffrance infantile. » La contamination est souvent vécue comme « “la tuile en plus” dans un parcours de vie marqué par des formes multiples de vulnérabilité », un revers tenu secret, comme le sont les situations qui entourent cette contamination et qui se révèlent au cours des entretiens. Ce sont ainsi les blessures, les abus, la violence conjugale et parfois les viols qui sont évoqués, mais aussi les difficultés à s’exprimer sur ces violences, voire l’impossibilité de s’en extirper.
Publiée en 20143, l’étude menée au Togo par l’équipe de Renaud Becquet, du centre de recherche Inserm-université de Bordeaux Population Health, met en avant des taux de violences physiques et sexuelles bien plus importants chez les femmes vivant avec le VIH (respectivement 63 % et 69 %) que chez les femmes séronégatives (39 % et 35 %). L’équipe souligne que la sévérité des conséquences de ces violences est souvent sous-estimée. En effet, près de 40 % des femmes nécessitant une prise en charge médicale n’ont pas bénéficié de soins et aucune n’a été orientée vers une structure de soutien. Ces données conduisent les chercheurs à insister sur le rôle des services de prise en charge du VIH, qui devraient détecter en routine les situations de violence et assurer une prise en charge et une orientation adaptées.
On trouve des recommandations similaires dans la stratégie nationale de lutte contre le sida des États-Unis4, qui rapporte clairement la détection et la prise en charge des violences comme moyen de renforcer la prévention et la prise en charge. Cette approche intégrée est le résultat de la mise en place en 2012 d’un groupe de travail interministériel sur le VIH, les violences envers les femmes et les inégalités de genre. Elle a été confortée par les résultats de l’étude Women’s Interagency HIV Study5. Conduite sur le long cours, de 1994 à 2014, cette étude met en avant des taux considérables de violences, indépendants toutefois du statut sérologique. Plus de 60 % des femmes suivies rapportent en effet un épisode de violence au cours de la vie, 21 % un épisode de violence physique et 10 % un épisode de violence sexuelle au cours de l’étude.
L’OMS propose une approche globale et ambitieuse.
L’OMS propose une approche globale et ambitieuse.
Problématique mal connue en France
En France, les informations manquent sur ces questions. L’enquête Virage, menée courant 2015 par l’Institut national d’études démographiques, fournira des données actualisées sur les violences faites aux femmes, mais sans comprendre de lien spécifique avec le VIH. Toutefois, la stratégie nationale de santé sexuelle6 comprend la prévention et la détection des violences sexuelles, qui font aussi partie des missions des CeGIDD. « À la Pitié-Salpêtrière, nous avons intégré cette problématique dans le questionnaire du CeGIDD, indique Anne Simon, présidente de la Société française de lutte contre le sida (SFLS). Nous avons été suivis sur cette question par d’autres centres de la région [Île-de-France], mais cette approche n’est pas encore déployée au niveau national. » Pour y remédier, la SFLS prévoit la mise en place d’un module de formation sur le sujet. « Les premières réponses nous montrent qu’il est utile de se pencher sur le problème, ajoute Anne Simon. Les violences existent, et les personnes qui les subissent nous disent souvent qu’elles n’ont pas pu en parler. L’enjeu est de pouvoir proposer une prise en charge et une orientation adaptées. Nous avons la chance de travailler avec une conseillère conjugale du Centre de planification et d’éducation familiale du même hôpital. Ce qui n’est pas le cas partout, ces collaborations sont donc à développer. »
Inégalités de genre comme déterminant
De nombreux organismes ont intégré la question des violences faites aux femmes, à l’instar de l’OMS, de l’Onusida ou encore du Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Dans un guide visant la promotion de programmes de prise en charge des violences dans le contexte du VIH7, l’OMS rappelle ainsi que, globalement, ce sont près d’un tiers de femmes qui subissent des violences au cours de leur vie. Ces violences sont non seulement associées au risque d’acquisition du VIH, mais elles se concentrent aussi sur les femmes vivant avec le VIH, comme conséquence possible de la révélation du statut sérologique.
Si l’approche des violences basées sur le genre est souvent fondée sur un plan interpersonnel (violences du conjoint, de la famille, des proches ou de personnes dépositaires d’une autorité), il faut souligner toutefois que ce sont bien les inégalités de genre qui sont présentées comme le déterminant commun des violences envers les femmes. C’est pourquoi l’OMS propose une approche globale et ambitieuse de cette question, incluant la prise en compte de la question de la violence dans les services de prise en charge du VIH – tout comme la prise en compte du VIH dans les services d’accueil des personnes victimes de violence –, la promotion de politiques de protection contre les violences, mais également la réduction des inégalités de répartition des biens, le renforcement du pouvoir économique des femmes et l’évolution des normes sociales et culturelles relatives au genre.
1 – Déclaration de l’élimination de la violence à l’égard des femmes, ONU,1993.
2 – Vanessa Fargnoli, « Apprendre à “vivre avec le VIH” : processus de légitimité et de redéfinition de soi, in Aller mieux. Approches sociologiques, éd. PU du Septentrion, 2016.
3 – Burgos-Soto J et al., “Intimate partner sexual and physical violence among women in Togo, West Africa: Prevalence, associated factors, and the specific role of HIV infection”, Glob Health Action, 2014.
4 – National HIV/AIDS Strategy for the United States: Updated to 2020, White House Office of National AIDS Policy, 2015.
5 -Michele R. Decker et al., Physical and Sexual Violence Predictors, 20 Years of the Women’s Interagency HIV Study Cohort, AJPM, 2016.
6 – Stratégie nationale de santé sexuelle, agenda 2017-2030, Ministère des Affaires sociales et de la Santé, 2017.
7 – 16 Ideas for addressing violence against women in the context of the HIV epidemic, WHO/Unaids, 2013.