vih Zoom sur la nouvelle agence de recherche contre les maladies infectieuses

15.01.21
Kheira Bettayeb
7 min
Visuel Zoom sur la nouvelle agence de recherche contre les
maladies infectieuses

Le 1er janvier 2021 est née une agence qui vise à donner un nouvel élan à la recherche sur les maladies infectieuses. Quels enjeux ? Quelle organisation ? Quels financements ? Quels risques pour la lutte contre le VIH ? Éclairages.

« ANRS, maladies infectieuses émergentes », voici le nom de l’agence qui coordonnera, animera et financera désormais la recherche sur les maladies infectieuses, dont celle sur le VIH et les hépatites virales. Elle découle du rapprochement de deux structures : l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS), qui a piloté la recherche française sur le VIH depuis 1988, soit pendant trente-deux ans, et le consortium multidisciplinaire d’équipes et de laboratoires REACTing [i], créé plus récemment, en 2013, afin de coordonner la recherche en période de crises sanitaires liées aux maladies infectieuses émergentes (Ebola, Zika, peste, Covid-19, etc.).

Ce nouvel organisme public a pour but de « renforcer la recherche biomédicale sur les maladies infectieuses émergentes », « mieux armer scientifiquement la réponse publique à l’épidémie de Covid-19 » et reprendre « intégralement » les missions de l’ANRS, précise le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (Mesri).

Des épaules pour financer la recherche

Dirigée par le Pr Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Bichat (Paris) et ex-directeur de REACTing, la nouvelle agence sera, comme l’était l’ANRS depuis 2012, une agence autonome de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). À savoir : « une structure incluse administrativement dans l’Inserm, mais dotée d’une autonomie complète concernant sa politique scientifique et le financement des projets de recherche », éclaire Jean-François Sicard, ex-secrétaire général de l’ANRS et secrétaire général de la nouvelle entité.

Si la création de cette dernière a été annoncée par le Président Emmanuel Macron seulement le 4 décembre dernier, l’idée de fusionner l’ANRS et REACTing a émergé dès le début de l’épidémie de Covid-19 : « Dès janvier 2020, REACTing s’est rapidement mobilisé pour coordonner la recherche contre le nouveau coronavirus. Mais sa taille et ses moyens limités ne permettaient pas réellement de faire face à l’ampleur de la crise [NDLR : le consortium bénéficiait d’un budget public annuel de 500 000 euros de la part du Mesri, contre, à titre de comparaison, 39,5 millions d’euros pour l’ANRS]. Aussi, très rapidement, des décideurs et des chercheurs, dont Françoise Barré-Sinoussi, codécouvreuse du VIH en 1983, ont souligné la nécessité de construire une structure commune qui permettrait à REACTing de s’appuyer sur la capacité de l’ANRS à financer la recherche. Sachant que REACTing n’avait pas cette aptitude », raconte le Dr Éric d’Ortenzio, ex-coordinateur scientifique du consortium et responsable du département Stratégie et partenariat de la nouvelle agence.

Quid de la répartition du budget ?

Mais le regroupement des deux structures n’entraînera-t-il pas une réduction des moyens alloués jusque-là spécifiquement à la recherche sur le VIH et les hépatites virales afin de financer la recherche sur les maladies infectieuses émergentes ? Jean-François Sicard est formel sur ce point : « Il a clairement été fixé qu’il n’y aurait pas de transfert des ressources destinées à la première vers la seconde. »

Reste que pour mener à bien ses missions concernant les maladies émergentes, la nouvelle agence aura besoin d’un budget supplémentaire… D’autant que le besoin est fort : « Depuis une dizaine d’années nous assistons à des émergences successives : Chikungunya en Amérique du Sud en 2013-2014, Ebola en Afrique de l’Ouest en 2013-2016, Zika en Amérique latine à partir de 2015, Ebola en République démocratique du Congo en 2018-2020, peste à Madagascar et, actuellement, l’épidémie mondiale du nouveau coronavirus. Donc, un budget conséquent est capital pour renforcer la recherche contre ces émergences… », plaide le Dr Éric d’Ortenzio. « Pour bien faire, estime Jean-François Sicard, il faudrait 80 millions d’euros de subventions de l’État, soit le double du budget annuel alloué aux deux ex-agences. »

Mais si le Mesri a déjà octroyé à la nouvelle agence un budget d’initiation de 2 millions d’euros afin de faciliter sa mise en place (nouveaux recrutements, etc.), il n’existe à ce jour aucune garantie concernant le budget qui sera dédié spécifiquement aux nouvelles missions de l’agence. Les discussions à ce sujet sont encore en cours avec les tutelles et aucune décision ne devrait être annoncée avant au moins la fin de l’été 2021…

« Nous voyions d’un bon œil la création de la nouvelle agence, qui étend le champ d’action de l’ex-ANRS aux maladies infectieuses émergentes. Cependant, nous resterons vigilants concernant les financements qui lui seront alloués », commente Mélanie Jaudon, coordinatrice du collectif associatif TRT-5 CHV [ii], qui défend les intérêts des personnes vivant avec le VIH et/ou des hépatites virales. « Il ne faudrait pas que le budget destiné au VIH, aux hépatites virales et aux IST soit grignoté par les maladies émergentes. D’une part, parce que les maladies émergentes méritent qu’on y consacre un budget conséquent spécifique ; d’autre part, parce que les besoins en recherche fondamentale et clinique sur le VIH et les hépatites virales demeurent importants. Par exemple, il n’existe toujours pas de vaccin contre le VIH… » 

Garantir l’implication des patients

La création de la nouvelle agence soulève une autre crainte, relative à l’implication même des associations de patients. Sachant que l’ex-ANRS intégrait ces acteurs « à toutes ses décisions ».

Au sein de la nouvelle agence, les propos concernant ce point sont rassurants. D’ailleurs, « les associations ont été étroitement associées à la réflexion sur la nouvelle agence, dès le début, et elles ont contribué directement au rédactionnel concernant les modalités de leur inclusion », souligne Jean-François Sicard. « Le modèle de l’ANRS basé sur l’implication des associations a même déjà été étendu aux maladies émergentes, avec l’intégration d’associations de patients dans deux groupes de travail sur la Covid-19 », précise le Dr d’Ortenzio.

Pour le collectif associatif TRT-5 CHV, l’espoir est de retrouver dans la nouvelle agence « les modalités d’implication des associations qui ont fait le succès de l’ANRS ». Selon Mélanie Jaudon, « cela est indispensable pour pouvoir porter les intérêts et défendre les droits des personnes concernées, et les impliquer dans la recherche sur le VIH, les hépatites et les infections sexuellement transmises… comme du temps de l’ANRS. »

Notes

[i] Pour « REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases ».

[ii] « TRT » pour « traitements et recherche thérapeutique », « 5 » pour le nombre d’associations membres de la lutte contre le sida à sa création et « CHV » pour « Collectif hépatites virales » qui a fusionné avec le TRT-5 fin 2019. Désormais, le collectif comprends 13 associations membres : Acceptess-T, Actif Santé, Actions Traitements, Act Up-Paris, Act Up-Sud-Ouest, Aides, Arcat, Asud, Comité des familles, Dessine-moi un mouton, Nova Dona, Hépatites/Sida Info Service et Sol En Si).

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